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13 octobre 2017

L'Encre et La Plume, tome 2

Vous nous l'aviez demandé...
Nous vous l'avions promis... 

Le TOME 2 de L’ENCRE ET LA PLUME, notre « ouvrage à quatre mains », mêlant les silhouettes d'encre de René Laurensou et mes haïkus, est enfin disponible auprès de chacun de nous !

encre tome 2

Il a pris le temps de mûrir, et après quelques petites péripéties d’impression, indépendantes de notre volonté, le voici…  Il a été tiré à seulement 300 exemplaires. Nous avons modifié un peu la présentation, nous lui avons rajouté des pages - il en compte maintenant 50 - et essayé de répondre à vos attentes.

L'Encre et la Plume Tome 2-002

J’espère qu’il vous plaira et que vous lui réserverez le même chaleureux accueil qu’à son « grand frère ». 

L'Encre et la Plume Tome 2

(Prix 16 euros + Frais de port, le livre sera expédié dans une enveloppe matelassée) 
Me contacter via les commentaires ("votre grain de sel") ci-dessous !

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6 octobre 2017

Bouquet d'automne

feuilles d'automne

Haïku – A fleur de mots (13) – Feuilles

Envers des étoiles
Vos couleurs jonchent le sol
En bouquet d’automne.

Photo et texte © Marie-Line Saltel-Bayol - 06/10/2017

5 octobre 2017

Feuilles mortes

 

feuilles mortes


Haïku – A fleur de mots (12) - Feuilles mortes

Branches effeuillées
L’arbre s’est déshabillé
Strip-tease d’automne.

Photo et texte ©Marie-Line Saltel-Bayol- 04/10/2017

3 octobre 2017

A Anne Bert

Elle a décidé du dernier jour de sa vie.
Respect, Madame !
http://www.lemonde.fr/sante/article/2017/10/02/l-ecrivaine-anne-bert-est-morte_5194804_1651302.html

J'avais eu envie de lui rendre hommage il y a un mois tout juste, après l'avoir entendue parler.
Voici mon texte :

Aucun texte alternatif disponible.

 

Elle...
- A Anne Bert -

 

Elle avait décidé de vivre. Vivre à en briser le verre des regards trop étroits. Vivre à en perdre la voix.

Elle avait décidé d’aller au bout du tunnel trop froid. Ce qu’elle voulait c’est oublier les frontières des pourquoi. Vomir sans résister. Décourager la bile insidieuse des moments insensés. La caresser d’une langue râpeuse et la laisser couler longtemps jusqu’à l’estuaire interdit des promesses avortées. Elle aurait déchiré d’un trait les ciels d’aube insipides. Elle aurait maquillé la nuit de mauve et de rose fondant. Le sucre des espoirs aurait tout recouvert. Sa gorge aurait refoulé au-delà du vrai le flot trop immobile de ce sirop suspect.

Elle avait décidé de vivre et de graver au poinçon acéré de sa volonté crue les flammèches sournoises de ses douleurs haïes. Elle avait décidé de vivre. C'est-à-dire de survivre encore un petit peu au-delà des limites assénées sans choisir. Elle aurait peint encore à grands coups de boutoir l’envers des amours mortes. Elle aurait décidé du jour de l’heure la plus précieuse parce qu’elle ne revient pas. Elle aurait écrit dans sa tête épargnée le droit fatal des envies fatiguées avant même que de naître. La fin aurait peu à peu dévoré ses forces. Son sourire dessiné aurait rempli l’espace comme une blessure vide.

Elle avait décidé de vivre. Elle avait jeté l’encre de sa vie sacrifiée à l’amer du décor, et tu la vois flotter sur l’océan inscrit de tes larmes asséchées. Et tu la laisses fuir comme elle l’avait souhaité. Et tu entends son cri balafrer tes nuits folles jusqu’au silence nu. Le ciel est rouge sang. Tu le dilues à peine dans l’eau trouble et noyée de tes incertitudes. La gifle est salutaire. Tu attends l’autre jour. Celui des au-revoir paisibles. Il n’arrive jamais. Elle l’a laissé dormir sur le bord de sa mort.

Elle a décidé de partir.

© Marie-Line Saltel-Bayol - 07/09/2017
«Il faut partir à un moment où on est vulnérable» (Anne Bert)

Et voici sa dernière lettre. Lisez-la...
http://www.lejdd.fr/societe/la-derniere-lettre-danne-bert-euthanasiee-lundi-en-belgique-3452399
et son blog :
https://anneelisa.wordpress.com/

Son livre Le tout dernier été, sortira le 4 octobre, chez Fayard.

 Peinture Zao Wou Ki

24 août 2017

Haïku - A fleur de mots (8) - Rose

rose

 Haïku - A fleur de mots (8)

Rose

Robe déployée
Une rose s’épanouit
Valse des pétales.

Photo et texte © Marie-Line Saltel-Bayol - 23/08/2017

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3 juin 2017

La vie en rose(s)

roses

Que j'aime cette saison !

 

 

 

   

 

14 janvier 2017

Le bouquet de la maîtresse (1)

 

bouquet de la maitresse doisneau

Le bouquet de la maîtresse

Elle avait disposé les fleurs dans un vieux pot qui se cachait sur une étagère au milieu de tout un fatras de crayons de couleur aux mines cassées, de cahiers chiffonnés dont les pages resteraient à jamais cornées, de carnets à spirales, de boîtes de craies poussiéreuses et de bouteilles d’encre à moitié vides, et j’étais restée éblouie par la grâce de ses mouvements, précis et rapides, qui en quelques minutes avaient transformé les tiges informes et à demi fanées en un magnifique bouquet de fleurs dont le parfum parvenait jusqu’à mon pupitre, au moindre courant d’air de cette belle matinée de mai.
C'était déjà presque la fin de l'année scolaire...

J’avais beau me concentrer sur les mots que je devais recopier en respectant scrupuleusement les lignes tracées sur ma page blanche… « la boucle du L doit toujours dépasser la barre du T ! », « ferme bien tes E ! » « Refais-moi une ligne de Q majuscules, en t’appliquant, s’il te plaît !», je ne pouvais empêcher mes pensées de vagabonder entre deux passages attentifs de la silhouette claire et bienveillante de ma maîtresse dans l’allée. Je ne l’entendais jamais arriver. Parfois, son parfum si particulier et si doux la devançait de quelques secondes. Soudain, je sentais son souffle chaud dans mon cou, et je devinais le geste de sa main qui remettait en place la mèche indisciplinée échappée du bandeau bleu qui retenait ses cheveux. Elle connaissait mes tendances rêveuses. Elle ne s’impatientait jamais. Combien de fois avais-je dû recommencer une ligne d’écriture que mon étourderie rendait brouillonne. Pour elle, pour le sourire de satisfaction qui se posait sur ses lèvres roses, j’aurais tracé des pages entières sans me lasser.

J’aimais sa manière de saisir délicatement mon porte-plume au manche taché, de le plonger dans l’encrier de porcelaine blanche pour m’expliquer la bonne technique. Je regardais la plume ressortir couverte d’encre. Jamais elle ne gouttait sur le cahier ouvert. La main de la maîtresse traçait alors sans hésiter les courbes élégantes des lettres en belle écriture anglaise, dont les pleins et les déliés me faisaient rêver. Parviendrais-je un jour à une telle perfection ? Lorsque je reprenais entre mes doigts maculés de taches le porte-plume familier, je contemplais d’un air désolé les petits points qui malgré mon assiduité ne manquaient jamais d’étoiler au premier mouvement la page neuve du cahier. Et j’entendais alors un léger soupir dans mon dos, puis sa main se posait, douce, sur mon épaule d’écolière honteuse, « Allez, recommence ! » et elle passait à l’élève assis devant moi. Sans jamais se lasser. Elle était mon idole. Mon rêve à accomplir. Le but à atteindre, comme une étoile brillante au milieu de la nuit.

Ce matin, tôt, avant de quitter la ferme pour partir à l’école, j’avais échappé à la surveillance de ma mère occupée à nourrir le bébé. J’avais ouvert sans bruit la petite barrière qui séparait la cour devant la maison, du jardinet où mon père faisait pousser les légumes qui nous nourrissaient, et j’avais couru jusqu’au coin le plus éloigné. C’était le coin des fleurs. Celui où ma mère avait préservé un petit espace réservé au superflu : en toute saison s’y épanouissaient quelques corolles. Des marguerites, des tulipes, des petits oeillets blancs au parfum si puissant, des zinnias multicolores, de gros dahlias de couleurs vives, et en ce mois de mai, du muguet. Tout un parterre de clochettes blanches cachées sous leurs feuilles vert sombre. J’en avais vite cueilli un bouquet, ravie d’avance à l’idée de l’offrir à ma chère maîtresse. J’écrasai au passage quelques tiges dans ma main serrée. Ce n’était pas important. Tous les enfants apportaient à tour de rôle des fleurs de leur jardin. J’avais attendu la saison des clochettes de mai. C’était ma fleur préférée. J’avais entendu dire autour de moi qu’elle portait bonheur. C’était ce bouquet-là que je voulais lui offrir.

[A suivre]

© Marie-Line SALTEL BAYOL  - 06/01/2017
Photo © Robert Doisneau - Le bouquet de la maîtresse

14 janvier 2017

Le bouquet de la maîtresse (2)

 

vivian maier

 Le bouquet de la maîtresse 2

J’arrivai essoufflée, les joues rouges, à l’entrée de la cour. J’avais couru sans même m’en rendre compte. Les deux maîtresses se tenaient sous le préau. Elles discutaient entre elles, entourée de groupes d’enfants qui jouaient en attendant l’heure de la rentrée des classes. J’hésitai à peine un quart de secondes et je me précipitai auprès de la mienne, me faisant suffisamment remarquer pour qu’elle interrompe sa conversation.
« Que veux-tu, petite ? » me demanda-telle de sa voix douce, sans même paraître importunée. Je plongeai mes yeux dans son beau regard clair et je lui tendis fièrement mon petit bouquet saccagé par le trajet. Son visage s’éclaira d’un sourire magnifique et elle prit précautionneusement mes fleurs, comme s’il s’était agi du plus magnifique bouquet de la terre.
« Elle vont vous porter bonheur, maîtresse », ajoutai-je en rougissant. Mon cœur battait à tout rompre. Je vis ses longs cils battre et se fermer un instant.

« Viens avec moi, on va les mettre tout de suite dans l’eau ! » me dit-elle en m’entraînant dans la classe dont la porte était restée entr’ouverte.
J’étais rouge de fierté et presque impressionnée. Entrer dans la classe avant tout le monde, accompagnée de la maîtresse, ça valait à mes yeux de petite fille tous les premiers prix du monde !
Elle me chargea d’attraper le pot qui servirait de vase. Je savais par cœur où il se trouvait. J’allai aux lavabos qui trônaient entre les deux salles de classe le remplir d’eau, et je le ramenai avec mille précautions jusqu’au bureau de la maîtresse, en prenant bien garde de n’en faire tomber aucune goutte sur le parquet ciré. Elle disposa les fleurs avec soin dans le « vase » improvisé, et s’exclama plusieurs fois « Que ça sent bon, le muguet ! C’est ma fleur préférée ! » J’exultai intérieurement.

Le modeste bouquet avait pris soudain la valeur d’une gerbe magnifique digne d’un fleuriste. Il illuminait ce coin de bureau d’une aura que je devais être seule à voir. J’avais noué mes mains dans mon dos et je me tortillais d’un pied sur l’autre sur l’estrade, devant la table couverte de piles de cahiers aux couvertures de papier bleu, soigneusement alignés, prêts à être distribués en fonction des noms calligraphiés sur les étiquettes qui les ornaient dans un coin... Je regardais le grand tableau noir, sur lequel la maîtresse avait déjà écrit une ligne de morale de sa belle écriture ronde régulière, comme tous les matins : « Plus fait douceur que violence. » Les bâtons de craie étaient soigneusement rangés à côté de la brosse à effacer dans la rainure prévue à cet effet. Je souris en pensant qu’elle était d’ordinaire l’objet de la convoitise de tous les élèves, qui se disputaient le privilège d’aller nettoyer le tableau, et surtout de sortir « taper la brosse » sur l’un des vieux murs de pierre de la cour…

Tout était en place, figé, familier et rassurant. C’était un jour d’école comme les autres, et pourtant je savais qu’il aurait à jamais en moi une saveur particulière, un goût ineffaçable.  Je triturai le nœud de ma blouse à carreaux verts puis je pivotai sur moi-même et je regardai la classe, les pupitres alignés, les grandes fenêtres et leurs rideaux jaunes, les cartes colorées accrochées au mur du fond de la salle, la mappemonde bleue posé sur l’étagère la plus haute, les porte-manteaux avec leurs boules blanches et leurs crochets noirs. C’était comme si je découvrais ce lieu pour la première fois. Je me sentais importante et fière. Comme le chef d’orchestre de tout ce petit monde encore immobile. Je sus alors que c’était là ma place, et qu’un jour je serais sur cette estrade la maîtresse que d’autres petites filles admireraient, l’exemple à suivre, le rêve à réaliser…

Toutes ces idées m’avaient envahies comme un ouragan. L’espace d’un moment j’avais été transportée dans un ailleurs possible que je pressentais beau.
« Allez, il faut aller te mettre en rang maintenant… On va rentrer. Tu n’entends pas la cloche ?... »
Bien sûr que je l’entendais, la cloche familière, tantôt joyeuse, comme ce matin, tantôt agressive et impérative. Déjà je regagnais la file des enfants devant la porte vitrée, le cœur gonflé de fierté et de joie. Je pris la main comme à mon habitude d’une petite fille, toujours la même. Ce n’était pas vraiment mon amie mais personne ne voulait lui donner la main parce qu’elle était un peu « différente », alors nous avions lié nos deux solitudes, puisque personne ne s’était proposé pour être ma compagne non plus. Tout naturellement elle avait pris place sur le même pupitre que moi, en classe.

Parfois je l’aidais, car elle avait encore plus de difficultés que moi. Les autres enfants se moquaient souvent d’elle et de ses drôles d’yeux bridés. Ils l’appelaient la Chinoise, ou « la folle » mais elle ne le prenait pas mal et cela la faisait même sourire. Moi je l’appelais Mimi. Pour la maîtresse, c’était « la petite Michèle ». Elle ne la punissait jamais et était encore plus patiente avec elle qu’avec moi. Elle m’avait nommée sa « deuxième maîtresse » et nous avions même le droit de rester dans la classe pendant les récréations pour terminer notre travail dans le calme. De toute façon, les autres ne voulaient jamais de nous pour jouer. Nous les gênions, paraît-il. Et moi je préférais jouer à la maîtresse avec Mimi.

A l’appel de la maîtresse, notre petite file d’élèves se mit en mouvement et rentra en classe, où chacun de nous rejoignit sa table dans le calme. Mimi souriait. Elle me montra d’un geste les fleurs de muguet, que le premier rayon de soleil du jour avait immédiatement désignées à son regard sensible.
Moi aussi, je n’avais d’yeux que pour le bouquet qui trônait sur le coin du bureau. De ma place, il me paraissait encore plus beau que tout à l’heure. Il embaumait jusqu’à moi. Il me semblait que toute la classe l’admirait.
Deux filles plus âgées que moi distribuaient déjà les cahiers bleus. Un élève fut chargé d’aller au tableau. C’était l’heure de lire la phrase de morale. La journée d’école commençait. Le cœur léger, j’ouvris mon cahier sur une page neuve, pleine de bonne volonté.

[à suivre...]

© Marie-Line Saltel Bayol - 07/01/2017
© Photo Vivian Maier

14 janvier 2017

Le bouquet de la maîtresse (3)

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Le bouquet de la maîtresse (3)

Je regardais la page du cahier devant moi. Les lignes s’emmêlaient un peu dans un brouillard flou. Je sortis de mon rêve.

Qu’était-elle devenue, la petite Mimi ? Cela faisait si longtemps que je n’avais pas pensé à elle. Et soudain je revoyais son visage, sa silhouette, présente, son regard doux, ce sourire éclatant... J’entendais presque sa voix me dire : « Tu viens ? Allez, prends ma main… » Le passé m’avait rattrapée l’espace d’un instant.
J’essuyai d’un geste rapide le voile devant mes yeux et je remis de ma main gauche la mèche de cheveux qui s’était échappée de mon bandeau. Autour de moi, tout était calme. J’aimais profiter de ce petit moment avant le brouhaha de la journée. C’était un petit privilège que je m’accordais souvent, lorsque j’arrivais, le matin, le plus souvent avant tout le monde. Aujourd’hui, c’était un joli matin de printemps. J’avais inscrit la date au tableau, comme tous les jours : vendredi 10 mai 1968. D’ici une bonne demi-heure, les enfants allaient surgir, petite meute pleine d’énergie et de gaieté et les fantômes du passé allaient s’évanouir. Sans doute. Ou peut-être pas.

J’avais enfilé ma blouse en vichy rose. C’était ma préférée. Je jetai un coup d’œil par la grande fenêtre qui donnait sur la cour. Quelques élèves commençaient à arriver. Ceux dont les parents travaillaient et qui nous les confiaient dès le matin à la garderie. Je me chargeais volontiers de temps en temps de cette permanence qui me permettait de voir les enfants sous un autre jour. Je n’avais pas de mal à repérer ceux qui n’avaient pas fait leurs devoirs. Ils se confiaient sans crainte à moi et je lisais dans leurs yeux beaucoup de confiance. Je me revoyais en certains et je les encourageais à progresser, j’expliquais, je corrigeais, sans jamais élever la voix. D’ailleurs le petit Pierre m’avait dit un jour, alors que son cahier d’écriture accumulait les pages arrachées : « Au moins, avec vous, Madame, on a le droit de se tromper sans être puni ! » et c’était comme s’il m’avait offert le plus beau des diplômes.

Je pensais en silence qu’il avait échappé par chance aux plumes Sergent Major et j’esquissais malgré moi un sourire en apercevant le bout de sa langue qui accompagnait systématiquement les mouvements laborieux de sa main crispée sur le stylo bille. Toutefois, je me mettais à regretter les buvards roses maculés de taches violettes lorsque je le voyais saisir sa gomme et frotter le côté bleu sur le papier de mauvaise qualité, qui ne tardait pas à laisser apparaître un petit trou irrécupérable. « Madame, je n’ai pas fait exprès… »

La sonnerie électrique stridente résonna et me fit sursauter dans ma rêverie. Je fis un dernier tour de la classe, ramassant un crayon tombé par terre, rangeant la case trop pleine et débordante de livres d’un bureau d’écolier, remettant à l'endroit un roudoudou oublié, coquillage rempli de sucre à moitié dévoré. Je pouvais dire rien qu’à l’organisation de chaque table à qui ressemblait son jeune propriétaire. Sur un pupitre, un taille-crayon en forme de globe terrestre avait laissé s’échapper les copeaux de crayons dans la rainure qui servait de plumier. A côté un enfant avait oublié d’emporter avec lui son précieux étui à lunettes, et je me dis qu’il faudrait que je m’en souvienne à l’heure de faire réciter la leçon du jour. Je connaissais par cœur la carte de la classe, sa topographie s’imprimait en moi dès les premiers jours de rentrée et les élèves savaient que je n’appréciais pas les changements de place, sauf motif important. Je les aimais, ils me respectaient autant que je les respectais, et ils m’aimaient aussi, je crois.

Nous avions décidé d’un commun accord que les tables seraient regroupées par quatre, formant des îlots de travail, choisis par affinité et avec mon consentement dès le premier jour. Cette innovation un peu en avance sur mon temps avait eu un franc succès auprès des élèves qui se vantaient régulièrement, ainsi que je l’avais entendu, de leur chance auprès de leurs camarades des autres classes : « Nous, on a Mademoiselle Lacombe ! C’est la meilleure maîtresse du monde ! » J’avais constaté avec bonheur que ce travail en groupe était bénéfique pour chacun. Pierre étonnait ses camarades en calcul mental, alors qu’en écriture c’est son voisin qui l’aidait… Les rédactions prenaient l’allure de jeux où chacun rivalisait pour soumettre son idée. Je me sentais comme un chef d’orchestre et cela me remplissait de bonheur.

[A suivre...]

© Marie-Line Saltel Bayol - 09/01/2017
Photo © Robert Doisneau - La libellule

14 janvier 2017

Le bouquet de la maîtresse (4) - suite et fin -

bouquet maîtresse

Le bouquet de la maîtresse (Suite et fin)

Je repensais souvent à « ma » maîtresse, celle qui m’avait donné l’envie de prendre sa place et qui m’avait convaincue par l’exemple que je voulais « être comme elle ». C’est elle qui avait permis le long et lent parcours semé d’embûches. Elle avait su m’insuffler la volonté et l’espoir, et me conseiller à chaque étape. Même lorsque je n’étais plus son élève, elle avait toujours eu un regard bienveillant sur moi, et c’est à elle en premier, devant les grilles de l’Ecole Normale, où étaient affichés les résultats, que j’avais fièrement annoncé ma réussite au concours de l’E.N. Elle avait eu les yeux brillants et pour la première fois m’avait offert un cadeau en me félicitant. Il m’accompagne encore. C’était un petit flacon du parfum qu’elle portait et qui m’avait tant marquée, enfant. D’ailleurs, j’ai toujours une pensée émue et tendre pour elle lorsqu’un élève me dit timidement « Vous sentez bon, Madame ! »

Ce matin ne faisait pas exception à la règle. Je remis mécaniquement en bon ordre la pile de Cahiers du Jour, éclatants dans leur protège-cahier orange en plastique, certains quasi neufs, d’autres abîmés et rongés aux coins, selon la personnalité et le soin du propriétaire attitré. J’accrochai la grande équerre et le compas qui serviraient de base à la leçon de géométrie du jour au clou prévu à cet effet sous le tableau, et je disposai bien en évidence le cahier d’appel ouvert au centre du bureau. La sonnerie retentit, impérieuse, pour la deuxième fois. Les élèves, qui étaient peu à peu tous arrivés, étaient déjà en rang devant l’entrée des salles de classe. Pour une fois, j’étais presque en retard à leur rendez-vous matinal. Je les entendais rire et bavarder. J’accrochai un sourire à mes lèvres, enfilai un gilet léger, et sortis sur le perron où ma collègue frappait déjà dans ses mains en s’efforçant de ramener le calme parmi la petite troupe dissipée.
Les enfants de ma classe me saluèrent tous d’un « Bonjour Madame ! » qui me fit chaud au cœur.
Je leur donnai le signal d’entrée dans la classe, tout en fermant la marche.

Chacun avait rejoint sa place et un seul coup d’œil en regagnant l’estrade m’avait suffi pour me rendre compte qu’il manquait Catherine parmi les élèves restés debout à côté de leurs tables. « Vous pouvez vous asseoir ! » dis-je, un peu soucieuse. Cette semaine elle avait l’air un peu fatigué. Peut-être avait-elle attrapé la varicelle comme son petit frère, continuai-je à penser en commençant l’appel. Je n’en étais qu’au quatrième ou cinquième prénom (je nommais toujours les enfants par leurs prénoms) lorsqu’un discret grattement se fit entendre à la porte. « Madame, quelqu’un a frappé ! » s’exclama Bruno, qui ne manquait jamais de relever le moindre détail… et cherchait sans cesse à assouvir sa curiosité naturelle. Je dissimulai un sourire. Il avait même devancé Hélène, qui d’ordinaire rivalisait avec lui dans ce domaine.
« Entrez ! » La porte s’ouvrit à peine, laissant se faufiler la petite Catherine, dont le visage, écarlate, disparaissait derrière un gros bouquet de muguet et de pervenches. Elle s’avançait vers l’estrade. « C’est pour vous, Madame ! », balbutia-t-elle timidement, gênée par cette arrivée bien trop remarquée et le retard inhabituel chez elle.

Une bouffée d’émotion et de tendresse m’envahit à la vue de cette enfant à la fois fière et timide derrière ses fleurs. Je me retournai pour saisir un vase sur l’étagère, avant de la libérer de son précieux bouquet. « Oh merci, Catherine, c’est ma fleur préférée, le muguet, tu sais ? C’est un beau cadeau ! … On va le poser là, sur le coin du bureau. J’en profiterai bien… et vous aussi ! Qu'il sent bon ! »
J’avais du mal à ne pas voir devant moi une autre petite fille porteuse de fleurs. L’émotion m’avait saisie à la gorge. Le parfum du muguet avait envahi mon bureau. « C’est un magnifique métier, celui de maîtresse, dis-je d’une voix un peu tremblante à toute la classe. On reçoit de très beaux cadeaux ! ».

Catherine avait déjà rejoint sa place. J’aurais voulu qu’elle et tous mes élèves gardent en eux le même souvenir ébloui de cet instant parfumé. Je savais que ce ne serait sans doute pas le cas. Peut-être seulement l’un ou l’une d’entre eux aurait perçu au fil des jours ma passion et mon bonheur d’être devenue qui j’étais. D’avoir accompli mon rêve d’enfant. J’aurais voulu continuer cette chaîne fragile et essentielle de transmission et leur avoir donné les armes pour y parvenir.
Je repris l’appel, égrenant les noms en regardant chacun des enfants, puis j’appelai au tableau celui qui serait chargé de lire la date à voix haute et d’écrire les premières opérations. La journée commençait avec un rayon de soleil. Je ne savais pas encore que ce mois de mai aurait pour toujours un parfum de révolution. La mienne avait déjà eu lieu, il y a longtemps, d’une autre manière. Elle avait une odeur de muguet.

FIN

© Marie-Line Saltel Bayol – 10/01/2017
Photo non créditée trouvée sur Pinterest

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