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16 avril 2012

Pour écrire un seul vers...

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire profiter de ce si beau texte de Rainer Maria Rilke, extrait des Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910) : "Pour écrire un seul vers..." dit merveilleusement par Terzieff...

 
 

Pour écrire un seul vers...

"Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux, savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin.
Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyages qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles, et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.
Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient.
Il faut encore avoir été auprès des mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups.
Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs.
Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela.
Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers."

Rainer Maria Rilke - Les cahiers de Malte Laurids Brigge, 1910 

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Aujourd'hui, mon grand-père aurait eu  106 ans...

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Commentaires
S
Beauté du texte de Rainer Maria Rilke, dont chaque mot est pleinement incarné par Mr Terzieff, et dont le moindre espace entre chacun des mots, ce qu'on nomme temps de "silence", n'est jamais de trop, tellement habité par la voix de l'homme, silences légers ou graves, silences joyeux ou pesants, comme tous ces instants qui donnent une vers, comme tous ces mots qui racontent une vie...<br /> <br /> <br /> <br /> sylvie
L
Tanette -> leur souvenir ne vieillit pas, lui...<br /> <br /> Mamie et TJ -> contente que ça vous ait plu !
T
Je ne connaissais pas...Quelle émotion!<br /> <br /> Et dit par Monsieur Terzieff, c'est...beau!<br /> <br /> Que dire de plus!<br /> <br /> On reste sans voix!
M
Quel magnifique texte!<br /> <br /> magistralement interprêté par TERZIEFF!<br /> <br /> où les mots, pleins de vérité, nous font découvrir, à la fin, le tableau de toute une vie...!<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour cette belle photo de pépé dans sa vigne ! Fier de cette vendange EXCEPTIONNELLE, qui reflétait, ô combien! le travail et le soin qu'il y avait apportés!<br /> <br /> <br /> <br /> Gros bisous.<br /> <br /> <br /> <br /> Gros bisous
T
Ton grand père était né le même jour que ma mère...elle aurait eu 92 ans aujourd'hui.<br /> <br /> Bises.
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