Terminus

13 février 2014

Quelques photos retrouvées m'ont remise sur la voie de l'écriture de nouvelles...
(comme ici, ici, ici, là, là, ou là...). Aujourd'hui, je vous offre celle-ci.

Terminus

La route déroulait son ruban gris monotone à l’infini. Des hauts, des bas… Marie se laissait happer par l’horizon, là-bas, tout au bout. Au bout de quoi, elle n’aurait su le dire. Il était déjà plus de midi et elle roulait depuis le matin.

Elle n’avait pas hésité longtemps. Quand elle s’était réveillée, elle avait su. Sa voiture était là, comme toujours garée devant la porte. Elle avait vu les clefs, posées sur la commode, et elle avait su que ce serait aujourd’hui. Aujourd’hui qu’il fallait partir.
Alors elle avait avalé son bol de thé, comme d’habitude, puis elle avait tout nettoyé, tout lavé, essuyé, rangé. Machinalement. La force des habitudes. La routine tranquille des jours après les jours… Elle ne se pressait pas. Sereinement elle s’habilla, se parfuma avec ce parfum doux et sucré qu’elle aimait et qui la rendait reconnaissable avant même qu’on ne la voie, enfila son imper, enroula une écharpe rose autour de son cou, puis enfin elle saisit les clefs. Elle ouvrit la porte. L’air frais la gifla et cela la fit sourire… Mécaniquement, comme une élève appliquée, elle claqua la porte, lui donna deux tours de clefs, puis elle monta dans sa voiture, mit le contact et démarra. La radio s’alluma et elle entendit la voix lancinante de Bashung. « Comme un Lego mais sans mémoire… ».
Le hasard faisait bien les choses.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle roulait ainsi. Elle ne savait pas non plus où elle allait. Des voitures la doublaient, à vive allure, puis disparaissaient au loin. Elle, elle s’abandonnait à la route. C’est celle-ci qui la guidait, comme si tout était écrit d’avance. Elle se rendit compte que le jour commençait déjà à baisser aux phares des autres véhicules. Les siens étaient éclairés aussi, mais elle ne se souvenait pas de les avoir allumés. Elle jeta un œil dans le rétroviseur, personne ne la suivait. Elle se retrouvait seule au milieu de nulle part à l’orée de la nuit, sans savoir où elle était arrivée, mais elle n’avait pas peur. La route était celle de tous les possibles.

Elle se dit qu’il faudrait peut-être se reposer, s’arrêter un peu, souffler. C’est vrai qu’elle était en apnée depuis son départ qui lui semblait déjà si lointain. Pas plus qu’elle ne voyait de fin, elle ne se rappelait le début. Elle était en suspension comme un poisson dans son bocal, et elle regardait défiler la vie autour d’elle. Elle ne savait plus si c’était elle qui avançait, ou le monde autour qui filait....
"Comme un insecte sur le dos..."

Son téléphone se mit à sonner, et elle reconnut la mélodie. Elle avait choisi un son différent pour tous ses contacts. Lui était le seul à bénéficier de celle-là.
Elle tendit la main pour saisir l’appareil, posé sur le siège passager mais il lui échappa et tomba sur le tapis de sol.