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3 mars 2014

L'attente

Longtemps elle avait attendu.

banc 2

 Je la croisais au même endroit tous les jours. Chaque fois que je passais, elle était là, occupant le même banc, assise face à la rivière et à cette eau noire qui s’écoulait encore plus lentement que le temps. En hiver, elle était emmitouflée dans une écharpe et portait un lourd manteau dans lequel elle disparaissait presque. Aux premiers rayons du soleil, elle levait son visage vers le ciel, le regard caché derrière d’épaisses lunettes sombres. Elle ne bougeait presque pas. On aurait dit une silhouette de marbre, comme ces statues en pierre grises qui ornent les jardins anciens.

Elle ne faisait rien. Elle ne lisait pas, comme d’autres passants assis sur les bancs dans les parcs. Elle n’avait pas d’enfants turbulents près d’elle à surveiller. Elle ne brodait pas ni ne tricotait. Elle était là, elle attendait.
Parfois, elle avait avec elle un petit sac empli de morceaux de pain qu’elle distribuait aux pigeons. Ceux-ci la connaissaient bien, et ils formaient autour d’elle une nuée virevoltante dès qu’elle s’installait sur le banc de bois. Certains, plus audacieux, se posaient tout près d’elle et s’aventuraient presque à becqueter dans sa main. Il me semble même que cela la faisait sourire.
Je n’aurais pas su lui donner d’âge.
Tantôt sa silhouette me semblait juvénile et fragile. Tantôt elle me paraissait voûtée comme sous le poids des ans et des soucis.
Personne jamais ne venait lui adresser la parole. Il s’était créé autour d’elle une zone infranchissable et mystérieuse, une sorte de no-man’s-land que nul, jamais, ne tentait de pénétrer. Et elle ne parlait jamais non plus à personne.
D’ailleurs, je me demandais parfois si elle entendait et si elle voyait, tellement elle semblait imperméable à tous les bruits et mouvements alentour. Pourtant il en passait, du monde, le long de cette promenade ombragée.

banc

Un jour, le banc resta vide.

Le premier jour, quoique surpris par cette absence imprévue, je ne m’inquiétai pas trop pensant que peut-être elle était malade, ou retenue ailleurs par quelque obligation incontournable.
Le deuxième jour, je guettai avec plus d’attention les allers-et venues des promeneurs, m’attendant à la voir arriver à petits pas rapides au bout de l’allée et reprendre discrètement sa place sur le banc qui bizarrement était demeuré vide. Mais l’après-midi passa sans que la silhouette étrange et familière ne revienne occuper l’espace qui me semblait soudain bien vide, privé d’un élément essentiel. Comme lorsque le dernier morceau manquant d’un puzzle rend le tableau inintéressant et sans valeur. Les jours qui suivirent, je m’efforçai de ne pas trop regarder le banc de l’absente, comme je l’avais surnommé. Mais malgré moi, mes yeux se posaient de temps en temps sur lui et le flot de mes interrogations m’envahissait à nouveau sans tarder, lancinant.
« Pourquoi ne lui ai-je jamais parlé ? Pourquoi n’avons-nous jamais ne serait-ce qu’échangé un sourire ou un bonjour ? Comment s’appelle-t-elle ? Qu'a-t-il bien pu lui arriver ? »

Je n’eus jamais de réponses à mes questions. Au bout de quelque temps, il y eut d’autres silhouettes sur le banc. Les uns lisaient, d’autres se reposaient, tout simplement. Parfois, des conversations se nouaient, des inconnus s’apprivoisaient. Les pigeons continuaient à voler en piaillant lorsqu’on leur jetait du pain, les enfants criaient et jouaient, vite rappelés à l’ordre lorsqu’ils s’approchaient trop de l’eau noire. Certains me lançaient un sourire ou venaient m’embrasser, parfois, rassurés par ma fidèle présence, et par le fait que  leurs anges-gardiens ne les en dissuadaient pas.

Il plut et il fit soleil. Les saisons défilèrent au rythme des saisons. Les jours passèrent au rythme des heures et des secondes, qui quelquefois ont des relents d’éternité.
Elle ne revint plus jamais s’asseoir sur le banc.

attente


Aujourd’hui, c’est moi qui attends.

 

MLS - 2 mars 2014

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Une pensée pour mon oncle Lulu qui fête son anniversaire aujourd'hui !

 

snoopyanniv

anniv lulu

 

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Commentaires
M
beau, très beau texte ;<br /> <br /> mais pourquoi l'attente ?<br /> <br /> ne serait-ce pas plutôt un plaisir très personnel à ne rien faire pour laisser l'esprit vagabonder entre joie et nostalgie ; auquel cas, cette notion de "périmètre de sécurité" autour d'elle prendrait tout son sens
T
Mélancolie, suspens ... on voudrait savoir, mais quel beau récit ! <br /> <br /> Ah, si on savait, si on pouvait deviner... on agirait peut-être différemment ...<br /> <br /> <br /> <br /> De gros bisous à Lulu pour lui souhaiter un BON ANNIVERSAIRE !
T
Que c'est bien écrit! C'est fluide, c'est comme l'eau qui s'enfuit sous les saules...<br /> <br /> Un jour, quand je serai grand, j'essaierai d'apprendre à écrire comme toi! Je sais bien que je n'y arriverai pas mais comme le chemin doit être beau! :)
M
Quelqu'un, dont le nom m'échappe a écrit : "....en dépit de ce qui arrive, ou qui n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique..."!<br /> <br /> Ici, dans cette Histoire, bien écrite, qui m'a emportée très vite vers la "FIN" je me suis posée des questions...?<br /> <br /> - Cette mystérieuse femme, meurtrie, attendait-t-elle, inexorablement, de retrouver un être cher? ou,<br /> <br /> - Était-elle contrainte, de vivre sans espoir dans ce silence..?<br /> <br /> Pour moi, dans mon imaginaire, les deux sont pathétiques...!<br /> <br /> Cependant, j'ai aimé!<br /> <br /> <br /> <br /> Gros bisous.
M
Très beau texte empreint de mélancolie, comme le temps qu'il fait ... bises et à bientôt peut-être ;-)
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