Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Line in Blog
15 octobre 2016

La nuit

nuit

 

La nuit

Le soir dessinait son chemin dans le ciel. Il l’écrivait à l’encre violette avec ses pleins et ses déliés. J’aimais les majuscules des nuages maraudeurs. L’ombre buvard rose pâle tachée de mauve épongeait leurs errances laborieuses. Parfois un oiseau squelettique et noir déchirait l’espace de son cri d’aile fine, comme les lames acérées de ciseaux défendus. Son frisson courait sur ma peau longtemps après qu’il se soit évanoui dans le silence des rêves. J’emportais avec moi les promesses lugubres et les espoirs fragiles. Ils avaient construit malgré moi le nid tressé des cauchemars à venir.
Je peignais à grandes coulées grises la vie des songes enfuis. Je les berçais à l’aune de mes peurs. Parfois j’oubliais sur le bord de la route entre deux arbres flous un lambeau de bonheur, comme la fleur fanée d’un bouquet oublié.

J’aimais suivre des routes sans issue et sans certitudes. Elles me menaient plus loin que les lendemains vierges. Je les avais tracées à grandes enjambées, par-dessus les fossés tièdes des nuits sans lune. J’accrochais aux épines émoussées des ronces éphémères les parcelles de vie qui brillaient sans faillir. Vers luisants égarés d’une armée de souffrances. Fenêtres éclairées de défaites écorchées.
Et le soir tricotait point à point son chemin d’étoiles sombres. J’en lisais la dentelle fine et précieuse. Je gravais dans mes yeux sa guirlande prudente. Elle brillait loin au-dessus du vaisseau de mes sommeils perdus. Sa voile triomphante m’emportait, houle froide, jusqu’aux matins de verre et de lumière, et elle me déposait, victime pantelante, sur la grève sableuse des aubes sacrifiées. J’y reprenais le souffle nécessaire aux vies indestructibles. Indemne des errances, ignorée des silences. Marionnette innocente surgie du piège lisse des fils noués de l’enfance.

Les aurores à l’envers m’éclaboussaient de parcelles de lune neuve. J’ânonnais leur histoire, je les lisais lettre à syllabe ; parfois je me heurtais à la marge fine qui borde tout espoir. L’encre se dissolvait à la force des larmes. Et le soir dessinait obstiné son chemin dans le ciel de mes nuits, se perdant dans le champ résigné des lumières noires qui brillent bleu.

© Marie-Line Saltel-Bayol - 11/10/2016
Photo Bing Wright - Broken Mirror/Evening Sky

Publicité
Commentaires
Line in Blog
Publicité
Archives
Publicité