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7 août 2016

Cinq ans (suite et fin)

Voici la suite et fin de cette courte nouvelle...
Je vous remercie de vos encouragements, et j'espère que vous ne serez pas déçus...

the end


Cinq ans (suite et fin)

Elle tremblait comme une feuille, partagée entre excitation, douleur, bonheur, rire et larmes mêlées. Elle avait compris, et elle se rendait compte soudain qu’elle n’avait vécu ces dernières années que dans l’attente de ce moment-là. Elle eut soudain envie d’éclater de rire. Il lui semblait qu’elle aurait pu s’envoler comme un oiseau qu’on libère de sa cage. Elle regarda par la fenêtre, comme si elle allait le voir là, sur la promenade qui longeait la plage. Elle le connaissait par cœur, ce paysage qu’elle avait tant de fois et si longtemps contemplé en vain. Elle aurait pu en dessiner chaque détail… C’était le soir, la journée s’achevait. Quelques silhouettes s’attardaient encore dans le contre-jour. En l’espace de quelques minutes, le temps s’était distendu. Son regard croisa les rayons du soleil qui s’enfonçait dans la brume des vagues à l’horizon. « C’est comme un grand feu d’artifice à l’envers… » murmura-t-elle, et elle-même ne savait plus si elle parlait du spectacle grandiose du ciel et de la mer, ou du chaos qui s’était emparé de son cœur et de son âme. La nuit allait être longue, et le sommeil difficile à trouver…

Lorsqu’elle s’éveilla, la clarté du jour s’était posée sur elle, et un rayon de soleil avait pris ses yeux pour cible, malgré les nombreux nuages qui peuplaient le ciel. Elle eut tôt fait de bondir hors de son lit. Elle n’avait pas faim, ou alors juste faim de lui, celui qu’elle espérait. Elle fit malgré tout sa toilette, se maquilla avec soin, elle qui d’habitude rechignait à travestir sa nature simple. Ses habits étaient prêts depuis la veille et elle les enfila rapidement. La blouse légère couleur du ciel lui allait parfaitement et c’était la première fois qu’elle portait cette jupe ample à rayures, qui mettait sa taille svelte en valeur. La matinée était déjà bien entamée. Après un rapide coup d’oeil à la pendule en formica qui indiquait maintenant 10h30, elle décida qu’elle serait mieux dehors qu’à faire les cent pas dans l’espace restreint de cette pièce unique qui lui servait à la fois de cuisine et de chambre. Il lui semblait manquer d’air. Elle sortit, claqua la porte en n’oubliant pas malgré son trouble de donner un tour de clefs, et prit la direction de la plage. Elle avait déjà fait mille fois ce trajet, seule, perdue dans ses pensées. Cette promenade habituelle, presque rituelle même, lui apportait de l’apaisement et du réconfort lorsqu’elle se retrouvait toute seule après ses journées de travail. Elle savait qu’il y avait un banc sur l’allée le long de la plage, près d’un manège pour enfants. En général, elle faisait une pause à cet endroit. Elle aimait la musique mécanique qui accompagnait la ronde, les cris des enfants, leur joie naïve, leurs regards émerveillés. Elle aurait voulu être comme eux. Aujourd’hui, quelques voitures étaient déjà garées près du carrousel multicolore. De loin elle reconnut une Simca Vedette Versailles bleu ciel dernier cri, le genre de voiture qui faisait rêver ses collègues au bureau. Elle décida de l’attendre là.

Et soudain, elle le vit, porté par le vent. Elle n’avait pas hésité. Elle l’avait reconnu comme on reconnaît ceux qu’on aime sans se tromper, même loin. L’avait-il lui aussi reconnue ? Elle n’aurait su le dire. Déjà, il n’était plus qu’à quelques mètres d’elle. Il courait à perdre haleine. Elle se leva du banc sur lequel quelques instants plus tôt elle rêvait. Ses jambes tremblaient un peu. Elle voulut faire un pas, mais resta figée, à côté de la magnifique voiture, comme tétanisée. Sa main était crispée sur son sac comme s’il eût contenu un trésor. Le vent du large agitait les rayures de sa jupe. Sa tête, son cœur explosaient intérieurement et l’air marin brûlait ses poumons dans sa poitrine. Ou était-ce autre chose ?... Le temps était suspendu.

Puis il fut là. Et elle contre lui. Sans autre geste. Sans un regard.
« Tu m’as manqué ! » réussit-elle à murmurer, en enfouissant d’instinct son visage mouillé contre son cou. « Toi aussi, tu m’as manqué… », répondit-il, tout en lui tendant la pochette fleurie qui ornait sa poche de veste. Elle ne put réprimer un sourire au milieu du brouillard de larmes. Elle osait enfin lever son visage vers lui. Rien n’avait changé. Hier était un autre jour et demain avait le goût de la bouche qu’il lui offrait en fermant les yeux. Elle savait de manière intense que jamais elle n’oublierait cet instant unique. Toujours, désormais, elle aurait sur ses lèvres le goût sucré-salé du bonheur réinventé. Un mélange de brouhaha de fête foraine, de bonheur d’enfant, de cris de joie et de larmes séchées. Un parfum d’iode et de peau retrouvée. Le vertige en abyme de regards noyés. Tout se gravait en elle. 
De manière incongrue, elle se dit qu’un jour, cette scène ferait un beau film qui restait à écrire. Ils iraient le voir ensemble au cinéma. La boulangère les saluerait poliment au passage et elle lui ferait un clin d’œil. Dans sa tête, elle imaginait déjà la musique…

Ce serait leur histoire, une histoire toute simple. Un homme et une femme.

© Marie-Line SALTEL-BAYOL- 27/07/2016
Photo Robert Doisneau 1961

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Commentaires
M
J'avais pris du retard...<br /> <br /> Je viens de la rattraper...<br /> <br /> Très belle histoire, bien rendue, qui m' a tenue en haleine jusqu'à la fin...<br /> <br /> J'avais imaginé une fin beaucoup plus triste...!<br /> <br /> Donc, bon moment...!<br /> <br /> Bisous
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